< 0_Note_philosophique >

L'automatisme est lié à la technique. Il est intéressant de noter qu’étymologiquement, ce terme a la même base que le mot art : la racine technê en grec deviendra ars en latin. Ils renvoient tous deux à la notion de savoir-faire, ayant donc le même sens. Cependant, aujourd’hui, il y a une nette distinction entre la création et la technique, entre l’artiste et le technicien. Nous pouvons rapprocher l’art à la créativité. Il y a eu depuis longtemps un rapport de supériorité entre l’art et la technique. Le philosophe Alain, dans son ouvrage Système des beaux-arts, apporte une précision sur ces concepts :

«Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie, [à la différence de l’artiste, ndla], dont l’idée vient à mesure qu’il fait ; il serait même rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, et qu’il est spectateur de l’oeuvre en train de naître. Et c’est là le propre de l’artiste.»01

Alain reprend de manière classique la distinction Kantienne entre art et artisanat : d’une part la beauté « libre » des Beaux-Arts, le génie artistique produisant ce qu’aucune règle ne pourrait prévoir ou déterminer, d’autre part la beauté « adhérente » de l’artisanat, soumise à des règles et un protocole. Allons jusqu’à faire le rapprochement : et si les machines numériques d’aujourd’hui étaient une sorte d’artisan, qui fonctionnent avec le protocole et l’algorithme ?

Il convient cependant de replacer la pensée Kantienne dans son contexte : Cette distinction est antérieure à la révolution industrielle [19e siècle pour la France] 02 , Kant ayant vécu au 18e siècle. Le design étant lié avec l’industrie, peut-être est-ce notre rapport à la technique qu’il faudrait revoir, comme le précise Gilbert Simondon, dans son livre Du mode d’existence des objets techniques : Il parle de « facile humanisme », une culture qui oppose l’homme et son fonctionnement à celui de la machine en tous points, teintée de peur et de catastrophisme. Selon lui, cette opposition est sans fondement ; au contraire, il y a dans la réalité technique une réalité humaine. Toutefois, ne voir d’intérêt que dans l’automatisation et le progrès technique en les idolâtrant serait un autre extrême tout aussi naïf.03 Ces deux points de vue caricaturaux nous invitent à prendre du recul sur nos positions respectives vis-à-vis de la machine pour une meilleure analyse.

< 1_Introduction >

« Si l'archet jouait seul de la cithare [...] » suggère déjà Aristote dans sa politique, vers 340 av. J-C. Nous avons depuis longtemps rêvés de créatures artificielles capables de faire les mêmes choses que nous, voire mieux que nous. Mais depuis que le terme robot entre en scène, dans une pièce de théâtre en 192004, désignant une machine ayant un aspect humain, il semble accompagné d'une inquiétude teintée de catastrophisme. Dans cette même pièce de théâtre, les robots deviennent si perfectionnés qu'ils se révoltent, fomentent une révolution et n'hésitent pas à tuer l'homme. De nombreux scénarios de science-fiction auront le même ton, tel celui de la saga Terminator, en 1984, ou encore Blade Runner en 1982.

Nous pouvons attendre des machines qu’elles répètent indéfiniment des programmes déterminés avec une extrême précision, comme cela se fait dans la production industrielle ; elles sont adaptées à ce type de tâches, comme le dit John Maeda05 : « Qu'on lui ordonne de former dix mille cycles ou juste quelques centaines, l'ordinateur ne se plaint jamais. Il exécute toujours ce qu'on lui demande »06… Cela montre le côté systématique et répétitif du fonctionnement de la machine. Peut-on dire qu'elles ne peuvent pas être créatives pour autant ? Qu'elles sont incapables de produire de la nouveauté, de l'originalité ?

Nous nous intéresserons particulièrement à l’ordinateur, qui n’est autre qu’une machine automatique de traitement de l'information, obéissant à des programmes formés par des suites d'opérations arithmétiques et logiques. C'est là qu'intervient l'algorithme, qui selon Louis Evaillard 07, peut être défini comme « une suite d'instructions suivie par un ordinateur […] de manière séquentielle. »08 Est-il possible pour l’ordinateur, de sortir de cet enclavement logique et déterministe, pour en arriver à de l’inattendu ? De sortir de la répétition systématique pour en arriver à l’unique ? Est-il possible que dans le milieu du graphisme, l'automatisation – ou l'algorithmie – soit créative ?