Une icône manifeste du passé Une icône manifeste du passé

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Si l’on prend un mot comme « chaise », il ne représente pas visuellemnt l’objet à travers sa graphie, mais la nomination arbitraire qui est attribuée à l’objet. Pour rendre compte de ce phénomène, l'installation One and Three Chairs, de Joseph Kosuth renvoie explicitement à la distinction conceptuelle effectuée par la philosophe Charles Sanders Peirce pour distinguer parmi les signes : les icônes, les indices et enfin les symboles. Dans son installation, Kosuth donne ainsi à voir simultanément : une une chaise posée au sol, une photographie de cette même chaise, et enfin une photocopie agrandie de la définition du mot « chaise » tirée du dictionnaire. De la sorte, l'artiste confronte le spectateur à trois manifestations bien différentes de la même idée. Cette distinction sémiotique entre différents régimes de signification nous donne à apprécier une part de la richesse du langage.

Les glyphes recensés depuis 1991 par le standard informatique Unicode, comptent à ce jours 137 929 caractères. Cette diversité s’exprime aussi dans les polices, comme pour l’Arial par exemple, qui dans sa forme Regular, comprend plus de 5 000 glyphes, sans compter les variations de style dont dispose cette fonte. Mais quelque soit la police à laquelle on a recours : lorsque l'on compose un texte, les caractères forment des lettres, les lettres des mots, et ainsi le langage se construit, à l’infini.
Dans la casse de l'imprimeur ou sur le clavier de notre ordinateur, ce que Peirce établit comme signe iconique correspond à la catégorie des dingbats.
Parmi les dingbats, on va s'intéresser plus particulièrement à ceux d'entre eux qui renvoient à l'idée de geste. Dans cette famille de caractères, la figuration iconique du geste se manifeste par exemple dans la manicule [☛]. D’usage courant, ce signe — quelque peu détourné de sa fonction première qui remonte au Moyen-Âge — comprend au sein du registre Unicode pas moins de 10 variations graphiques différentes, voire 164 résultats en cherchant uniquement au sein du catalogue avec le mot-clé : « index ». Ce caractère joue sensiblement le même rôle directionnel que la flèche, mais tout en rétablissant une relation avec le corps.
À sa façon, le caractère U+270D [✍] représente également une main. Cependant, cette fois-ci cette main est figurée dans la geste même de l'écriture. Ainsi, de façon synthétique et à travers un dispositif qui correspond à une sorte de mise en abyme : l'idée d'écriture est exprimée — au sein même de l'écriture — dans la figuration d’un geste fonctionnel qui n'est rien d'autre que le geste de l'écriture !
La figuration du geste se retrouve également dans cet ensemble de signes qui figurent cette fois-ci nos émotions, à savoir les emojis — dont l'origine graphique découle d'ailleurs d'un emploi détourné des signes de la ponctuation —. L'usage de ce type de signes de l'écriture va de pair avec l’importance que porte la nouvelle génération aux réseaux sociaux et aux écrans. Des projets comme The Emoji Dictionnary, viennent classer ces icônes dans un dictionnaire participatif, ce qui revient à les catégoriser presque comme les éléments d'un vocabulaire à part entière.
Ces quelques signes dont il vient d'être question ici font donc bien partie de l'ensemble des caractères de l'écriture. Pourtant, tout en intégrant ce système de notation de la parole qu'est l'écriture, leur nature iconique les rend irréductibles à la parole en tant que telle. En fait, ils rendent comptent de la réalité d'une manière toute différente de celle qui est employée par la langue écrite, car celle-ci fonctionne grâce à un système symbolique, à savoir la notation alphabétique. La présence d'images au sein de de notre système d'écriture alphabétique nous invite à penser que l’homme ne peut se séparer d'elles pour continuer à se sentir vivant.