La
place
du
graphisme
engagé
dans
le
combat
féministe

Le graphisme engagé

Le combat feministe

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« Globalement, un design engagé est utile en ce sens où son but est de conscientiser la personne qui le regarde, explique Alexandra Nolot, directrice artistique de La Maison. Il doit susciter une émotion, que ce soit le rejet ou le désir de prendre part, en plus de s’inscrire dans l’actualité, c’est-à-dire qu’il invite à passer à l’acte maintenant. ». Si un design engagé doit être ancré dans l’actualité, le passé, lui, dans certains codes visuels qui sont utilisés dans le design d’aujourd’hui, défendent une cause, qu’elle soit politique, environnementale ou sociale. Ces éléments visuels diffèrent toutefois en fonction du but recherché. Parce que son objectif consiste justement à passer un message, un design engagé est dépourvu de subtilité. Ce côté droit au but, se traduit également dans l’outil et le style. Le féminisme utilise donc souvent le graphisme engagé pour communiquer ses idées.
Le graphisme engagé trouve-t-il des formes singulières dans le cadre du combat féministe ?

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Le féminisme est un mouvement social qui se bat pour l’émancipation de la femme, l’égalisation de ses droits avec ceux de l’homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique, doctrine, idéologie correspondante. On peut distinguer trois formes de féminisme théorique. Il y a les féministes radicales où la racine de l’oppression des femmes est le patriarcat. Les inégalités sociales sont causées par leur sexe, elles se soucient notamment du nucléaire, la violence sexuelle et la pornographie.


Ensuite, les féministes marxistes sous-entendent l’oppression du genre, le capitalisme, elles abordent le travail domestique des femmes non-payé, ainsi que les inégalités dans le monde du travail. Pour elles, le capitalisme doit disparaître. Puis, les féministes libérales qui s’abstiennent d’identifier une quelconque structure dominante. Elles luttent contre les stéréotypes du genre, la participation inégale à la vie sociale et les pratiques discriminatoires. Un processus de réformes démocratique est nécessaire pour y remédier.

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Pour expliquer l’histoire du mouvement féministe, nous pouvons parler de vagues. La première émerge sous la Troisième République et se concrétise avec les suffragettes. Au début du 20e siècle, elles se sont battues en Angleterre pour le droit de vote. Soutenues par certains hommes, elles ont conquis des droits politiques, tel que le droit de vote, le droit d’occuper des fonctions publiques et la reconnaissance de leur statut de personne à part entière. De nombreuses associations, nationales et internationales se constituent autour de 1900, elles préparent des rassemblements où les arguments, les projets, les programmes sont élaborés. Cette première vague mixte a permis d’engager un combat féministe qui n’est toujours pas résolu.
La deuxième vague féministe, se forme au cours des années 1960, elle révèle les moeurs telles que l’IVG, l’objectif est que la femme ait le droit de prendre des décisions concernant son corps et l’avortement. Pour cela, des mouvements très actifs et parfois violents comme le Mouvement de Libération des Femmes ou le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, luttent activement pour le droit à l’avortement et pour obtenir une certaine liberté sexuelle. Tous ces mouvements ont émergé après mai 68 dans un contexte politique particulier propice aux revendications et aux réformes. Le féminisme doit réduire tout obstacle à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Dans les années 80, suite à la lutte des militantes de la deuxième vague, des textes de loi confirmant les droits dont puissent jouir les femmes sont apparus. Légalement, les femmes profitent des mêmes droits que les hommes et peuvent disposer de leur corps, mais beaucoup de mentalités et de représentations restent en opposition avec le féminisme. Une troisième vague apparaît dans les années 90. Elle est représentée par une génération de féministes qui intègrent de nouvelles luttes et pratiques plus diverses, elles défendent les lesbiennes, femmes de couleur, prostituées, handicapée... Elles investissent, les médias mais aussi les rues. Elles ont pris conscience que leur mouvement devait rejoindre les hommes dans une cause commune. Ces féministes revendiquent donc la mixité sociale de la deuxième vague qui désirait avant tout faire émerger une parole indépendante des hommes. Elles pronnent le dialogue entre les femmes et les hommes.

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Femen 1 est un groupe féministe d’origine ukrainienne, fondé à Kiev en 2008 par Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Oleksandra Shevchenko. Le mouvement est actuellement représenté dans huit pays. Sa présidente à l’international est Inna Shevchenko. Le groupe devient internationalement connu en organisant des actions, essentiellement seins nus 2 avec des slogans écrits sur le corps, dans le but de défendre les droits des femmes. Le but est d’assurer une médiatisation grâce à leur actions provocatrices, généralement spectaculaires.
En octobre 2019, au cimetière du Montparnasse, les militantes féministes ont déposé des stèles en hommage aux 114 femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon depuis le début de l’année. Une photo prise lors de cet événement, illustre une performance où on voit les Femen dans le cimetière Père-Lachaise à Paris pour dénoncer les féminicides. On y voit des femmes qui sont couvertes d’argile dans le but de ressembler à des zombies, plus précisément à des mortes-vivantes car elles représentent les victimes de féminicide qui sont représentés sur les stèles qu’elles tiennent en main, avec leur nom, leur âge et leur rang de mort. Les couleurs sont plutôt ternes, le plan moyen est utilisé avec une faible distance des Femen qui sont au centre de l’image et elles sont entières, la profondeur de champ est importante et le point de vue est proche. On a aussi une vue parallèle au sol, avec un format à l’italienne. Le support principalement utilisé par les Femen est leur corps, parfois, elles ont aussi des pancartes comme dans le cas présent. D’autres artistes tels que les actionnistes viennois ou bien Sagmeister utilisent eux aussi leur corps pour délivrer un message. Leur message est toujours écrit de la même manière avec des lettres capitales écrites à la main en peinture blanche. Leur travail se diffuse principalement grâce à leurs performances dans la rue.

manifestation

Femen, Stop feminicides, photographie d’une manifestation, 2018, Paris

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Les Guerrilla Girls sont un groupe d’artistes féministes fondé à New York en 1985 et connu pour créer et diffuser des affiches afin de promouvoir la place des femmes et des personnes racisées dans les arts. On y voit un jeu de mot entre « Guerrilla » et « Gorrilla », elles sont représentées par des gorilles et elles se battent pour leurs idées. Le groupe est composé de femmes anonymes3. Leur première performance consista à poser dans les rues de leur ville d’origine des affiches décriant le manque de représentation de ces groupes sociaux dans les galeries et les musées. Le groupe, qui s’est divisé abruptement en 2001 en plusieurs branches, les Guerrilla Girls Inc, les GuerrillaGirlsBroadBand et les Guerrilla Girls On Tour, a donc comme caractéristique de produire un art engagé et protestataire voulant réinventer le féminisme. Elle sont toujours présentées avec un masque de gorille, la figure est typiquement associé à la virilité et à la « domination masculine », on peut faire un lien avec le film KingKong, le gorille est le personnage principal et il domine le monde.
L’affiche du Metropolitan Museum of Art « Do women have to be naked to get into the Met. Museum? » est faite en sérigraphie. Elle est d’abord exposé dans les stations de métro, puis ensuite dans les musées. On y lit « Les femmes doivent-elles être nues pour entrer au musée du met? » Pour illustrer ce propos, il y a une note expliquant que seulement 6 % des artistes exposant dans les musées, sont des femmes, alors que 60 % des nus exposés sont féminins. Cela critique la muse féminine et l’artiste masculin. On distingue aussi la grande odalisque d’Ingres, les Guerilla ont choisis cette oeuvre, car elle incarne l’image de la femme considérée comme objet sexuel, elle a une forte charge érotique. De plus, l’odalisque est une femme originaire du Maghreb, elles la choisissent donc pour sa charge colonialiste. Les contours ont été coupés de manière assez brutale et les couleurs ont complètement changé, elle passe du jaune et du bleu aux nuances de gris ainsi qu’au magenta, cette couleur rappelle celle de la typographie qui sont noir et magenta sur fond jaune primaire. On retrouve aussi l’habituelle tête de gorille sur le visage de l’odalisque pour représenter les Guerrilla Girls.

affiche

Guerrilla Girls, Stop Do Women Have To Be Naked To Get Into the Met. Museum?, sérigraphie sur papier, 1989, 69.5 x 193 cm, NewYork

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Le principe de cette campagne est le collage d’affiches. Cette campagne nécessite trois étapes, la recherche du slogan, l’écriture et la préparation de la colle donc la conception, puis la pose des affiches sur un mur bien choisi. Pour réaliser cette campagne, il faut seulement des feuilles blanches généralement A4 ou A3, de l’acrylique noir et de la colle. Dans ces affiches, la scénographie est aussi importante, c’est généralement sur des murs vierges de toute inscription, l’attention des passants se dirige donc sur ces affiches.
Comme on peut le voir sur l’image les caractéristiques ont été respectées avec une lettre en acrylique noir sur une feuille A4, chacune de ces pages forme un mot, une phrase, une feuille A4 vierge est disposé entre les mots pour former l’espace. Chaque auteur de ces affiches est anonyme. La plupart du temps, les auteurs de ces phrases sont des femmes, sur cette photo l’artiste a le visage flouté on ne peut donc pas déceler son identité. De plus, le même âge est en nuance de gris il n’y a pas de couleur comme pour les affiches A4. Le plan est moyen et parallèle au sol. Ces affiches sont un moyen d’utiliser l’espace urbain afin de communiquer, d’autres artistes le fond comme Banksy ou bien Ernest Pignon-Ernest, mais aussi de simples citoyens comme ceux qui collent leurs affiches pour retrouver leurs animaux de compagnie.

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Anonyme, collages féministes, affiches A4, 2019 - 2020, 21 x 29.7 cm

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Le magazine Censored est créé par les deux soeurs Apolline et Clémentine Labrosse en 2018. Chaque numéro est conçu autour d’une thématique, comme les masculinités, le désir ou la dernière en date, la santé mentale. C’est un projet qui part de l’intime, le magazine dénonce, déconstruit et déculpabilise en offrant une réflexion sur le corps, la place de la femme dans la société à travers des articles de fond, des interviews d’activistes féministes, de photos, de collages.
Dans le magazine, j’ai sélectionné un photo collage. Beaucoup d’éléments y sont disposés, qu’ils soient typographiques ou bien économiques. En haut à droite, on aperçoit, les statues, Psyché ranimée par l’amour sculpté entre 1787 et 1793 par Antonio Canova. Ensuite, il y a la jeune martyre qui est une huile sur toile fait en 1855 par Paul Delaroche, ces deux reproductions d’oeuvres ont été rognées pour le photomontage. L’image en haut à gauche semble être tirée d’un vieux film en noir et blanc, on y voit seulement un oeil à travers un trou de serrure. L’image est aussi composée d’objets, tels que des perles, des napperons, une paire de menottes, un papillon ainsi que trois yeux. On retrouve aussi au niveau typographique, un morceau de papier coupé sur lequel se trouve une définition du sadisme. Tout cela se trouve sur un arrière-plan, composé de papier froissé. Sur ce papier il y a deux pictogrammes représentant la main gauche et la main droite, le chiffre 7 et le mot manchette ainsi qu’un autre mot non-reconnaissable. Ce photomontage représente le sadomasochisme et les tabous qui peuvent y être impliqués. On y retrouve aussi des confrontations telles que la liberté et l’emprisonnement ou bien la jeunesse et la vieillesse. Ce photomontage décrit le sadomasochisme à travers différents éléments et de manière objective en incluant l’aspect de l’amour dans cette pratique. Chacun se fait son propre avis.

censored

Apolline Labrosse, Desirare, photomontage, Censored, 21 x 29.7 cm, Lyon

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Pour conclure, le féminisme utilise beaucoup de manières pour communiquer, comme les manifestions. Lorsque le féminisme et le graphisme se rencontrent, on découvre alors des formes de graphisme engagés tels que des affiches, des magazines et bien d’autres. Il est difficile de trouver une forme graphique spécifique au féminisme, car si on transforme le message concernant ce sujet, le graphisme est engagé, mais n’a plus rien de féministe. On peut tout de même constaté quelques signes qui se rapporte au féminisme, comme l’utilisation du corps nu féminin. Par exemple, on distingue les Femen grâce à leurs manifestations radicales le buste nu. Les Guerrilla girls utilisent aussi ce phénomène, en utilisant le corps nu d’une femme et la tête d’un gorille, la féminité et la masculinité s’affrontent, on obtient alors un message féministe grâce à cette confrontation. Cela, signifie-t-il que le corps de la femme est un moyen de rendre un graphisme engagé en un graphisme engagé ?

1 Le mot « Femen » vient du mot latin qui signifie cuisse et non femme comme on pourrait le croire, elles ont choisie ce nom car cela « sonnait bien ». Si on décompose le nom, on retrouve « men » pour les hommes et « fem » en français pour les femmes, il y a une égalité des genres symbolique.
2 Les Femens s’inspirent des amazones, femmes guerrières, elles n’étaient pas pudiques et elles avaient généralement leur sein gauche découvert.
3 Elles utilisent des noms d’artistes, pour éviter des représailles dû à leurs actions