À PROPOS
DU PALIMPSESTE

a• Introduction
et histoire

Le palimpsesteDu mot grec ancien palímpsêstos, signifiant « gratté de nouveau » est un parcheminSelon le CNRTL : peau d’animal grattée, amincie, rendue imputrescible et doucie à la pierre ponce dont le texte a été effacé par les copistesSelon le Larousse en ligne : personne qui, avant l’invention de l’imprimerie, copiait des manuscrits du Moyen Âge à l’aide d’une pierre ponceSelon le CNRTL : roche volcanique légère, poreuse, très dure, dont on se sert (parfois après l’avoir réduite en poudre) pour polir, abraser, nettoyer, puis recouvert d’un nouveau texte. Il est possible d’en dévoiler, voire décrypter le texte ancien par traitement chimique ou optique.
Dans les temps passés, le parchemin était un support d’écriture fabriqué à partir de peaux d’animaux. Ces peaux étaient dégraissées jusqu’à n’en préserver que le derme, tissu corporel sous-jacent de l’épiderme qui porte les premiers signes de vieillesse de la peau. Elles étaient ensuite traitées dans un bain d’eau mélangée à de la chaux, une matière blanche et sèche obtenue à partir du calcaire, un élément généralement fossilifèreSelon le CNRTL : qui renferme des fossiles. Il est intéressant d’observer que le derme et le calcaire, témoins des marques du passé, jouaient un rôle phare dans la création du support d’une inscription elle-même garante de l’antan. Ce procédé préparatif se poursuivait en une série d’étapes longues et fastidieuses qui pouvaient durer de six à douze semaines. Cela justifiait la rareté et le prix particulièrement élevéEn comparaison, lorsque le papier a été popularisé au XVe siècle avec l’invention de l’imprimerie, il était 13 fois moins cher que le parchemin pour la même surface d’un parchemin. Il était donc préférable d’en gratter un et de le réutiliser.
Les multiples composants et différentes étapes mis en œuvre dans la fabrication d’un parchemin sont lourds de significations et participent à la richesse archéologique du palimpseste.

Echarnage et ponçage du parchemin, sur la herse
Gravures issues du livre Les merveilles de l’industrie ou, Description des principales industries modernes
Tome II, 762 pages, 1873-1877
FIGUIER, Louis.

b• passerelle entre
deux périodes

Le palimpseste d’Archimède, composé de 174 foliosfeuille de parchemin ou papier pliée en deux pour former quatre pages. Les formats des codexs et livres anciens étaient définis par le nombre de plis de la feuille imprimée : in-plano pour une feuille non pliée, in-folio pour une feuille pliée en deux, in-quatro pour une feuille pliée en quatre, in-octavo pour une feuille pliée en huit, etc., est un des exemples de palimpseste le plus connu.
Sur ce folio, les deux textes sont visibles en deux compositions superposées, mais leur sens d’orientation diffère. Cette différence s’explique par le changement de format du parchemin lors de sa réutilisation : les folios originaux, une fois dissociés puis grattés, ont été découpés en deux avant d’accueillir le texte religieux. Ils ont ensuite été pliés pour démarquer les pages et réassemblés entre eux afin de reformer un codex plus petit mais plus épais.
Malgré la distance temporelle qui sépare ces deux écrits, les espaces entre leurs lignes croisées forment une grille relativement régulière. Cette grille homogène est observable sur la majeure partie des pages de ce palimpseste. Volontaire ou non, sa présence peut témoigner de l’existence de règles de composition strictes qui seraient restées inchangées d’une période à l’autre. Y aurait-il une régularité, une cohésion tangible entre ces deux textes ? Ou leur rapport se limite-t-il à deux strates imperméables ? La question peut être posée car un palimpseste est avant tout un accident, il n’est pas le résultat d’un projet. Il témoigne d’un passé sans avoir été conçu pour témoigner.
Cependant, d’autres palimpsestes attestent ce caractère accidentel. Contrairement au palimpseste d’Archimède, l’hypothèse d’une cohésion volontaire entre les deux textes ne s’y envisage vraisemblablement pas.

Palimpseste d’Archimède, folio
Ve siècle av. J. -C.
Dimensions (supposées) : 30 x 42cm
174 folios
contient de multiples écrits d'Archimède :
Codex Ephremi Rescriptus
Nouveau Testament

Ve siècle av. J. -C.
Dimensions : 20,5 x 15,2cm
Texte religieux alexandrin
209 folios (145 pour le Nouveau Testament (33x27cm))
+ sections d'Ammonian
«Lettre croisée» Monsieur F. L. Bridgeman à Fanny West
15 décembre 1837
Ontario, Canada
Archives d’Ontario
La technique de la lettre croisée consistait à écrire deux portions d’une même lettre l’un par dessus l’autre à des angles différents pour économiser le papier et les frais d’affranchissement encore élevés à l’époque

c• brouillon
et palimpseste

Le brouillon est une ébauche plus ou moins griffonnée et corrigée destinée à être mise au propre. Il ne s’arrête cependant pas à cette définition : les brouillons sont les strates d’un processus de recherche et de réflexion souvent long et complexe. Leur étude, dans le cadre de la génétique textuelleSelon Philippe WILLEMART :
«Une oeuvre ne surgit en un instant du néant : le processus de création possède une certaine durée. Étudier ce processus à partir des traces matérielles qu’il laisse — brouillons et manuscrits — est le but de la critique génétique, ou génétique textuelle.» ; extrait de son essai Dans la chambre noire de l'écriture
, participe à la compréhension de ce processus.
Le palimpseste est une trace du passé, une surface mnésiqueSelon le CNRTL : qui concerne la mémoire qui détient un morceau de mémoire retrouvé, un témoignage découvert. Il est intéressant d’explorer, dans le cadre de la génétique textuelle, l’intérêt et les qualités visuelles du brouillon en tant que situation d’écriture, pour établir d’éventuelles relations avec l’aspect archéologique du palimpseste.

Dans le brouillon de Victor Hugo, il est difficile de dire s’il s’agit d’une superposition de brouillons et recherches de différentes portions du livre, qui vont jusqu’à former un collage, ou si tout a été écrit sur le même support. La composition particulière des écrits ne laisse presque aucun espace vide et les traces épaisses témoignent de la réflexion et de l’état émotionnel de l’écrivain.
En ce qui concerne le brouillon de Gustave Flaubert, celui-ci fait preuve d’une grande densité graphique et les corrections, ratures et phrases ajoutées s’accumulent à l’instar de surimpressions par-dessus les premiers essais d’écrit. Contrairement au brouillon de Victor Hugo, les espaces vides sont importants et tout s’écrase dans le même espace saturé en surcouches.
Si le palimpseste est un accident, le brouillon occupe une fonction d’essai, de réflexion et de tâtonnement dans la réalisation d’un projet. Il s’agit d’une fonction de transition d’une idée à un résultat final. En ce sens, le brouillon n’est pas une fin en soi, c’est un moyen comme le palimpseste est le moyen de réutiliser un parchemin.
Le brouillon témoigne d’un procédé personnel, d’une réflexion évolutive, d’un état émotionnel. Le palimpseste, quant à lui, témoigne d’un passé.

De façon générale, ce qui est intéressant dans le brouillon, c’est le résultat vers lequel il a mené. Concernant le palimpseste, du point de vue des copistes, leur propre texte est plus important que le texte gratté. Mais dans le cadre de la génétique textuelle, le brouillon est plus pertinent dans ce qu’il révèle de l’écrivain.
En parallèle, ce qui donne au nouveau texte d’un palimpseste toute sa valeur, c’est le texte initial.

Gustave FLAUBERT
La Légende de saint Julien l’Hospitalier
Manuscrit autographe, 1875-1877
Dimensions : 41,5 x 26 cm
Bibliothèque Nationale de France, Manuscrits
Victor HUGO
L’Homme qui rit
Brouillons et notes préparatoires
Dimensions : 37,5 x 29 cm
Bibliothèque Nationale de France, Manuscrits
Raymond ROUSSEL
Locus Solus
Manuscrit autographe
1911-1913
Dimensions : 22,5 x 17,5cm
Bibliothèque Nationale de France, Manuscrits