Solène Gasthalter - Mémoire et transmission


Abstract


Nowadays the landscapes of our cities change a lot and we don’t necessarily pay attention to them. That is why, the city is trying to speak for itself in order to pass a legacy of the past. This thesis showed the place of history in the history and how the city speaks for itself and what the place of graphic design is in the communication of the urban heritage. Firstly, the ways of thinking about History have changed so many times. The Ancient Greeks used to mention the past like a cyclic line which is its continuation. On the contrary, after the French Revolution, philosophers considered History only in the past and they began to highlight the heritage from the past because of the destruction of many monuments. Thereafter, a position of Inspector general of Historical Monuments in 1830 is created. His role is to check monuments to know if they need to be restored. And since the creation of the UNESCO, some people have thought there is not enough distinction between what is important. There are many ways to communicate the past. There is a dimension more explanatory to teach the past of a monument, a place or a statue, thanks to signs with maps, timelines or illustrations. There is another way to explain history that is more immersive for viewers, like mapping, a projection of image or video over a monument, and through archeological exhibitions. There is another dimension more contemplative that attracts people to come to the city, thanks to postcards, collections of illustrations or art or street art. To conclude, History has been seen differently since the beginning of the world. The past has a critical influence on the cities which find different ways to transmit the legacy of history.

Keywords

Memory
History
Present
The city speaks for itself

Introduction


La mémoire nous rattache à notre passé et influe sur notre présent et notre futur. C’est l’histoire de nous-même et de notre société qui forment nos cultures et nos traditions. Depuis le début de la civilisation, l’Homme a la volonté de laisser une trace de son passage, que ce soit sur les murs des grottes afin de célébrer une chasse ou bien de nos jours, en publiant des photos sur les réseaux sociaux. La notion de mémoire est ainsi liée à celle de la transmission car les vestiges du passé nous apprennent sur le présent. La volonté de l’Homme de laisser une empreinte sur le monde instaure par conséquent un héritage à transmettre. Ces traces du passé apparaissent particulièrement dans le tissu urbain, formé de strates d’époques successives auxquelles nous ne faisons plus attention. De ce fait, la ville cherche à se mettre en valeur, à faire connaître son passé. Comment la ville se raconte-t-elle ? Quel est le rôle du graphisme dans la transmission de l’histoire urbaine ?

L'histoire et la ville



Le temps s’accumule et passe, le passé est présent dans notre société partout où l’on regarde. Alors comment notre société aborde le passé, tout en gardant un oeil sur le présent et le futur ?


L’histoire de l’Histoire, des considérations sur le passé

La perception de l’Histoire ainsi que le rôle de l’historien changent depuis que l’Histoire est étudiée. Chez les Grecs anciens par exemple, le regard sur le passé concernait surtout l’art. Poètes et sculpteurs étaient valorisés pour leur savoir-faire et leurs visions de l’Histoire. On accordait une importance culturelle à l’oralité, en effet des personnes étaient considérées comme des « archives vivantes » puisqu’elles connaissaient les règles et les rituels religieux ainsi que les normes juridiques de la communauté qui servaient notamment à régler des litiges de citoyens. Ces personnes conservaient ce qui était jugé le plus utile pour des cas de conflits redondants. Ce n’était pas une explication du passé que les Grecs recherchaient mais une transmission cyclique de savoirs qu’ils appliquaient dans leur présent. De cette continuité cyclique de l’Histoire chez les Grecs anciens en découle une linéarité au Moyen-Âge. Celle-ci coupe les ponts avec l’Antiquité. Mais ce sont les philosophes des Lumières et la Révolution qui ont instauré une rupture critique du lien entre le passé et le présent. L’étude historique s’est alors interessée au passé en tant que temps ancien à comprendre et non en tant que modèle à suivre.


La conservation comme geste de conservation

À l’époque de Rome et de son empire, ont commencé à être ériger des monuments qui commémoraient des victoires, notamment des colonnes et des arcs tel que l’arc de Titus 1 1 Empereur romain de 79 à 81 ap-JC post-mortem à l’effigie de la prise de Jérusalem de 70. La volonté de mettre en valeur les victoires de l’Empire et de les transmettre aux générations futures est déjà présente. Le mot « patrimoine » vient du latin « patrimonium » qui signifie littéralement « l’héritage du père ». Ce terme a alors un sens de bien individuel. Le patrimoine est aussi bien naturel que culturel. En 1830, suite à la Révolution Française qui a détruit une partie du patrimoine historique, une plus grande considération a été accordée au passé grâce à la création par François Guizot 2 2 Député et ministre de l’Intérieur en 1830. un poste d’Inspecteur général des Monuments Historiques occupé tout d’abord par Ludovic Vitet 3 3 Archéologue et homme politique. un ami de Prosper Mérimée 4 4 Écrivain, historien et homme politique.
5 Architecte français.
qui reprend la suite après sa démission. Mérimée charge Eugène Viollet-le-Duc 5 de la restauration de nombreux monuments historiques comme la cathédrale de Notre-Dame de Paris ou le Mont St-Michel. De là, se met en place la dénomination Monument Historique en 1837. Les politiques de « conservation intégrée » 66 L’ensemble des mesures qui ont pour finalité d’assurer la pérennité du patrimoine. ont été définies le 3 octobre 1985 : la Convention pour la sauvegarde du patrimoine architectural de l’Europe conclue à cette occasion, est entrée en vigueur le premier décembre 1987. Elle établit les structures de la coopération européenne pour la protection du patrimoine architectural. Suite à la Deuxième Guerre Mondiale, les Nations Unies fondent l’UNESCO en 1945. Cependant, l’UNESCO crée de plus en plus de catégories à classer comme patrimoine, ce qui entraîne un trop plein de conservation, une « overdose patrimoniale » qui ne fait plus de distinction entre ce qui est vraiment important dans l’Histoire et la limite entre le passé et le présent. Mais pour l’UNESCO, la conservation est moins importante que la transmission, elle n’est qu’un outil dans le but de transmettre des savoirs.


Arc de Titus, Rome

Arc de Titus à Rome

Dessin de Jacques Cellier du Labyrinthe de la cathédrale de Reims entre 1583 et 1887. C'est le premier labyrinthe qui met en avant les fondateurs d'une cathédrale.

Logo de la dénomination Monument Historique. Inspiré du labyrinthe perdu de la cathédrale de Reims, ce logotype est présenté officiellement en 1985 par le ministère de la culture suite au dessin de Jacques Cellier.

Logo modernisé ensuite par l’agence Ruedi Baur en 2017. La typographie utilisée est la Fontin sans, une incise qui reprend les caractères des inscriptions lapidaires.


Depuis quand la ville se raconte-t-elle ?

Nos villes sont le fruit de strates historiques successives. Elles naissent de révolutions agricoles tel que le détournement d’eau, la façon de cultiver et de conserver les cultures, ainsi que de l’entretien des systèmes. Tout cela implique le rassemblement de mains-d’oeuvres. Depuis le Moyen-Âge, les rues portent des noms liés à leur emplacement géographique (près de cours d’eau); à leur importance (rue principale); aux monastères ou aux boutiques qui s’y sont installées (boucherie, boulangerie...). Au XVIIIe siècle, elles sont systématiquement nommées et recensées, ces noms de places, rues, allées, carrefours sont appelés des « odonymes » 7 7 Du grec « hodos » qui signifie « la route » En 1728, à Paris, leur nom apparaît sur des écriteaux aux carrefours, puis, en 1844, sur des plaques émaillées en caractères blancs sur fond bleu. Cependant, certains noms ne plaisaient pas aux habitants qui arrachaient les plaques. L’État dut installer des inscriptions lapidaires et instaurer des amendes pour chaque plaque arrachée. En revanche pour présenter son passé et rendre hommage à ses habitants, la ville installa des plaques commémoratives. En 1479, en France, une des premières plaques est posée à Castrum Vésulium, actuelle ville de Vesoul. S’installent aussi dès 1992, à Paris, des panneaux d’Histoire designés par Philippe Starck qui informent les passants sur l’histoire des sites qu’ils traversent. La ville se met en avant avec des plans, des maquettes qu’elle présente à ses habitants et ses touristes. Citons par exemple le plan-relief de Besançon de 1722 par François de Ladevèze ou bien les plans mis à disposition dans les rues afin de servir de repères géographiques.


Plan-relief de Besançon de 1720 à 1722 sous la direction de l’ingénieur Ladevèze. Échelle 1/600e


Plaque de la rue Elzévir à Paris. La première plaque émaillée posée lors du rennomage des rues. La typographie utilisée est la Didot qui reprend les caractères des inscriptions lapididaires. La deuxième plaque est le 1er nom de la rue.


La typographie variable Plaak est utilisée pour les plaques de rue depuis 2014. Elle a été créée par le designer Damien Gautier avec l'aide d'Olivier Raimbaud et de Correntin Noyer.

De nos jours, le graphisme pour raconter la ville



La ville met en place différentes manières de transmettre son histoire. Celles-ci prennent des dimensions qui impliquent le visiteur.

Une explication

« En étudiant le passé, on comprend le présent. »
Proverbe japonais

L’instauration d’une mémoire collective implique un choix des évènements à expliquer, ce qui laisse de côté une partie de l’histoire. La transmisssion de l’Histoire doit se faire le plus objectivement possible. Ainsi les villes, pour raconter le passé, mettent en place des moyens de transmettre l’Histoire qui les valorise tout en étant complète. Les explications sur le passé, pourtant assez scolaires, sont claires et concises dans nos rues. Elles permettent à tout le monde de comprendre l’Histoire quelle que soit l’époque. Ainsi, s’installent les panneaux d’histoire dans nos rues. Histoire de monuments, de statues, de lieux. Complétés parfois par des frises chronologiques ou des plans, les panneaux d’histoire enrichissent nos connaissances. Puisque que ces panneaux laissent assez de place à la documentation (cartes, photographies) qui illustre les explications, tous les publics sont concernés. Les panneaux d’histoire de la ville de Fréjus sont composés de manière à ce qu’on les repère et les reconnaissent en tant que série. Le texte est agréable à lire car il est concis et il est en lien avec des images. La typographie utilisée est l’Arial. La composition du texte se fait en trois colonnes et la documentation se réparti sur celles-ci. Mettant en place de la documentation afin d’informer les visiteurs, les villes gardent ce côté éducatif tout en essayant de le rendre plus ludique. Par exemple en traitant de sujets peu communs mais qui mettent tout de même le passé en avant. À coffre ouvert, rédigé par la ville de Besançon montre les documents les plus insolites que les archives de Besançon possèdent suivi d’un texte expliquant le contexte du document. Une autre possibilité est de rendre les cartes plus colorées et plus attractives en mettant en place un système de jeu de piste comme le fait la ville de Bernay.


Panneaux d’Histoire de Paris de Philippe Starck installé en 1992.




Carte de la ville de Bernay qui présente ses monuments historiques

Une immersion

« Qui pourrait avoir la prétention de reconstituer autrement que par la pensée et par l’étude les aspects somptueux du siècle ancien ? (...) »
Pierre de Nolhac

C’est difficile d’imaginer le passé tel qu’il était auparavant. Les monuments sont affectés par le temps. Ainsi les villes essayent d’impliquer le visiteur dans leur passé pour un meilleur vécu de l’Histoire. Il y a plusieurs façons de faire vivre l’Histoire, certains monuments mettent en place une restitution du passé qui immerge les spectateurs dans l’Histoire. De cette façon, ils vivent mieux le passé puisqu’une sorte d’identification s’installe. Le mapping, la projection sur monuments, comme sur la cathédrale d’Amiens permet de voir comment celle-ci était colorée. Ce spectacle contient un narrateur qui ajoute des éclaircissement et qui raconte la cathédrale. Cependant le mapping permet aussi une vision plus « extraordinaire » du lieu. Les projections faites sur le Monastère de Brou à Bourg-en-Bresse sont des jeux de couleurs et de formes avec l’architecture du monument. Des expositions ou/et des parcours dans la ville pour présenter le patrimoine historique de la ville sont parfois organisés. Par exemple le parcours archéologique intitulé De Vesontio à Besançon, conçu par la ville et dont la communication a été réalisé par le collectif Territoire composé de Pascaline Minella, Christophe Gaudard, Thomas Huot-Marchand, Nicolas Bardey, Yves Morel, Sonia Biétry et Philippe Convercey, montre les vestiges romains de la ville en 2006, afin de faire découvrir ou redécouvir les origines de la ville de Besançon. Quatre expositions ponctuent le parcours mis en place en plus de l’exposition d’objets archéologiques au Musée des Beaux-Arts : la Bibliothèque de Conservation présente les plans originaux de Besançon, sont montrées les moulures de la Porte Noire à l’ancien cloître de la cathédrale de Saint-Jean, la Maison de l’architecture présente les réflexions sur l’intégration des vestiges de la ville de Besançon de trois architectes et pour finir le Musée des Beaux-Arts fait une exposition dans laquelle les artistes s’interrogent sur le devenir de l’art contemporain. L’immersion du visiteur se fait grâce au parcours à travers la ville qui est mis en place pour faire les différentes expositions. De plus, la typographie variable utilisée dans l’affiche qui présente l’exposition ainsi que les citations sur les murs du musée et le catalogue d’exposition mélange une typographie romaine droite, la Scala, avec des pleins et déliés et des ligatures que l’on retrouve sur des inscriptions lapidaires. Peut se faire alors un parallèle avec la typographie Infini de Sandrine Nugue qui allie les différentes typographies à travers l’Histoire. En outre, l’empreinte de l’affiche qui présente l’exposition peut faire penser à l’identité de la ville puisqu’elle est composée d’objets archéologiques qui ont été retrouvés lors des fouilles.


Cathédrale d'Amiens

Monastère de Brou à Bourg-en-Bresse

Affiche de l’exposition De Vesontio à Besançon par Thomas Huot-Marchand en 2006

Une contemplation

« La contemplation du temps est la clef de la vie humaine. »
Simone Weil

Loin d’une image institutionelle de la ville, celle-ci se valorise d’une manière plus artistique. De cette façon, la ville devient plus attractive et donne envie de connaître son histoire et ses spécificités. L’association Juste Ici qui promeut la continuité de la transmissioin urbaine du street art de Besançon, organise le festival Bien Urbain qui valorise les murs de la ville et leurs histoires. Par exemple, Les restes de l’industrie, à l’origine peinte en anglais sur les murs d’une usine abandonnée de Brooklyn, se voit dessinée sur le mur de la Rhodiacéta de Besançon en français par Jonh Fekner. L’oeuvre rend hommage aux mouvements de contestation menés par des ouvriers et ouvrières de l’ancienne usine de fabrication de soie artificielle bisontine entre 1967 et 1968. De cette façon, le mur devient une sorte d’habillage du paysage urbain. Le mur a été démoli le 27 février 2019. Il existe aussi des oeuvres permanentes dans la ville qui donnent lieu à un parcours dans Besançon qui invite à l’exploration. De la même manière, Grenoble organise un festival de street art qui met en avant les murs de la ville. Par ailleurs, la maison d’édition Maison Tangible rend hommage et valorise le patrimoine historique de la ville de Besançon en 2015 avec une série d’illustrations à collectionner de différents formats (cartes postales, affiches, marque-pages...). Elle fait appel à 5 artistes différents qui se distinguent les uns des autres tout en utilisant des gammes chromatiques assez proches. Les 5 illustrations reprennent des caractéristiques de la ville de Besançon reconnaissables. Toutes comportent le nom de la ville en plus ou moins voyant ou encore ce qu’elle représente. Cette collection d’images, en plus d’être attractive, met en avant le patrimoine de Besançon ainsi que son savoir-faire. Cette façon de raconter l’Histoire permet de mettre en lumière le passé culturel de la ville tout en ayant une dimension plus ouverte vers l’art.

Les Restes de l'industrie de John Fekner à la Rhodiacéta à Besançon en 2018.



Collection d'illustrations par la maison d'édition Maison Tangible en 2014. Illustration de Thomas Huot-Marchand,typographe et graphiste.

Conclusion


La considération du passé dans un objectif de transmission a changé énormément depuis l’Antiquité grecque. Nous prêtons beaucoup plus attention au monde historique qui nous entoure. De plus, le paysage urbain, dans lequel nous vivons, ne cesse d’évoluer au cours du temps et les époques s’accumulent sur nos bâtiments. La ville se raconte et se met en valeur depuis de nombreuses années maintenant. Elle met en place de nombreux moyens graphiques qui relève de l’explication avec une dimension éducative qui tend vers une objectivité, de l’immersion liée à la restitution de l'histoire et de la contemplation avec une dimension artistique. La ville se veut vivante et transmet son passé culturel et historique à tous, au monde, sans plus de frontières.

Solène Gasthalter - Sujet de mémoire - DNMADe Graphisme - 2020