Les moyens graphiques expressifs

La parole est liée au sens des mots formulés par la voix. Elle permet d’exprimer nos pensées et émotions grâce à la coordination des muscles responsables de notre prononciation. Malgré les uniformisations de l’écriture, telles que les polices formelles et peut-être à cause de celles-ci, on peut s’interroger sur l’apparition de la vitalité que transporte la langue lorsqu’elle est parlée, et si elle est présente à l’écrit. On retrouve peu rarement ces sons produits à l’oral dans l’écriture. Pour continuer sur les observations faites concernant cette relation entre le langage oral et écrit vue précédemment, nombreux sont ceux qui ont eu une approche expressive vis-à-vis de la parole. Par exemple, Kurt Schwitters a élaboré
Ursonate,
un poème sonore, mais plus tard également un
alphabet phonétique
dans les années 1930 . Ces recherches et créations visent à traduire cette vie que transporte la parole à l’écrit, à travers des alphabets, des compositions et poèmes.
Ursonate
mis en forme par Ilia Zdanevitch, dit Iliazd, un poète, homme de lettres, artiste et éditeur, est également l’auteur d’une œuvre poétique (sonnets), de dramaturgie en langage poétique abstrait (zaoum). La composition de son édition Ursonate du texte est relativement centrée et comme limitée par un cadre, celui de la marge des pages.

La parole est un mélange de sons produits par la voix qui prennent sens lors de l’énonciation orale. Chez Schwitters et Marinetti , on retrouve presque les qualités de la parole : les lettres sont grasses, fines, de très grande taille, parfois qui sont à 90 degrés et d’autres non. Ces modifications des lettres évoquent des sonorités que l’on ne perçoit qu’à l’oral originalement, elles sont présentes ici de par l’expressivité des caractères et phrases, on interprète l’intonation que pourrait avoir cet agencement de discours.

Les changements de taille et les rotations des lettres avec Massin sont moins extravagants que ceux présents chez les mots en liberté de Marinetti, et cherchent peut-être une certaine rigueur et douceur malgré cette composition inhabituelle. Au contraire, Marinetti dans
les mots en libertés
, aborde une certaine liberté de mise en forme et maniabilité concernant le sens des différents mots et lettres. Ses compositions sortent même parfois du cadre. Massin dans
la cantatrice chauve
évoque ce même phénomène d’une façon moins poussée que Marinetti, on peut presque entendre l’intonation et les caractères spécifiques liés à la parole.

Les moyens graphiques expressifs de la voix

La voix est le support acoustique de la parole. Elle est produite par l’air expiré des poumons, mis en vibration au
niveau du larynx
et « articulé » dans le conduit vocal. C’est à ce moment que les voyelles et consonnes se différencient : la voix se transforme en parole. Dans la communication verbale, la voix est souvent considérée comme le support ou encore la sonorisation de la pensée. Voix et parole utilisent le même canal, excepté que la parole s’adresse à la raison et la voix à la sensibilité. On voit que ce désir d’exprimer la voix à travers des visuels se retrouve dans certains travaux réalisés.

On peut le retrouver dans l’édition écrite en Zaoum
Ledentu le Phare.
Dans une préface de Georges Ribemont-Dessaignes, le Zaoum était défini comme « un langage d’apparence russe dont les mots et les onomatopées sont tels qu’ils permettent d’être le support du sens de plusieurs mots de sonorités ». Sur l’édition d’Iliazd, l’interprétation du sens de cette écriture poétique communique l’univers du son à travers cette mise en page. La sonorité, étant complexe de par ses différentes tonalités et intonations, cela mène à une combinaison de signes variés mais qui fonctionnent ensemble. La force de la page est visuelle et l’aspect rédactionnel l’est potentiellement aussi. De fait, cette double-page graphique se voit plus qu’elle ne se lit, elle est au-delà du discours. Les lecteurs ne comprenant et ne lisant pas le russe, portent plus d’attention à la composition et ces modifications de la typographie et essaient d’interpréter ces choix esthétiques. Par des manipulations et des procédures telles que le changement d’échelle des lettres, on peut arriver à retranscrire des sons particuliers de notre langue par le biais de la typographie.

En effet, un autre exemple avec Pierre di Sciullo montre la volonté de retranscrire la différence de sonorité de la voix à travers la typographie. Il a élaboré une typographie nommée
le Kouije
qui vise à incarner la voix dans l’écriture : elle se compose de différentes variations pour traduire au mieux les ondulations de la voix. Par exemple, les lettres muettes sont plus fines et les lettres suivent l’ondulation de la voix (par contraction et dilatation pour les variations de rythme) : le chuchotement est fin, le hurlement est gras; la hauteur des lettres indique la hauteur de la voix du grave vers l’aigu.

Une autre recherche voulant montrer la voix à travers un
alphabet
a été menée par un étudiant, Guillaume Allard. Il a mis au point un
alphabet basé sur la langue coréenne
et sur les différents organes de la phonétique : il transcrit les sons oralisés, d’après
les différents positionnements de la bouche.
Il tente et propose des indices sur la manière de prononcer les mots car l’A.P.I. (Alphabet Phonétique International) n’est reposé que sur les lettres latines principalement, ce qui exclut la moitié des langues utilisées dans le monde.

Les moyens graphiques expressifs de l'émotion

Pour finir, les émotions transmises par le biais des expressions faciales, gestes, mais également dans le ton de la voix ne sont pas, ou difficilement, communiquées à l’écrit. Au cours du temps, il y a eu des réflexions et recherches graphiques effectuées autour de la ponctuation. En effet,
le point exclarrogatif « ‽ »
a été élaboré par Martin K.Speckter en 1962, il pensait que cela apporterait plus d’impact à ses publicités : il peut servir à ponctuer une phrase qui est interrogative et exclamative à la fois, et également remplacer l’usage des deux signes de ponctuation successifs « ?! » ou « !? ». Une autre version du point d’interrogation classique a été mise au jour par Marcellin Jobard, en 1841, qui utilise dans un de ses articles un signe typographique de son invention qu’il appelle
« point d’ironie ».
Ce signe a été repris d’une autre façon par le poète français
Alcanter de Brahm (alias Marcel Bernhardt)
à la fin du 19ᵉ siècle.

L’étudiante Jane Secret a observé et mis au point un système de signes qui
fonctionnent comme la ponctuation.
Son but était de transmettre les émotions, de façon ludique tout comme les font les émoticônes. Il existe plusieurs
« familles »
: des points de ponctuation comme « Le Surpris » et « L’Effrayé» mais également des guillemets d’humeur tels que les Joyeux, les Énervés, les Timides, les Malheureux et ainsi de suite. On peut considérer ces nouveaux signes de ponctuation comme une retranscription d’une des qualités propres au langage oral : les émotions.

Pour donner un nouvel exemple qui suit cette volonté d’apporter l’émotion et les humeurs au langage, Secret 7″ s’est associé à une plateforme de création web se nommant Squarespace afin célébrer sa collaboration avec Mind. Sur ce site web se trouve un
générateur de typographies
qui permet d’exprimer l’humeur que la personne choisit. Les usagers du site ont réalisé leurs propres
posters,
qui ont été imprimés et présentés pendant une exposition. Cet exemple de posters ouvre la perspective d’une possible
représentation des émotions
individuelles, que toute personne peut exprimer.