une forme d'ingéniosité

Dans la combinatoire, on peut retrouver aussi une forme d’ingéniosité, c’est-à-dire la capacité à savoir trouver des solutions à des problèmes en faisant preuve d’imagination et de savoir-faire notamment technique. Ce qui peut mener vers la question de l’innovation et se demander si la combinatoire ne peut-elle pas mener vers des propositions ou des résultats innovants.
Il y a donc un intérêt à étudier la facture de productions qui replace le designer graphique dans un rôle de créateur d’outils et de dispositifs matériels.

Certains dispositifs matériels renferment une dimension technique parfois proche de l’ingénierie. Pour premier exemple, l’ingénieur Joseph-A. David dessine en 1876 « La Plaque Universelle Découpée » concentrant l’ensemble de l’alphabet dans un seul et même outil compact. Cette plaque peut générer les variations de l’alphabet latin, tracer autant les majuscules et minuscules que la ponctuation, des motifs géométriques et des ornements. formsforms Pour cela, il suffit d’utiliser les matrices modulaires qui fonctionnent à la manière d’un pochoir. Elle est cependant plus complexe à appréhender qu’un normographe ordinaire où chaque module est séparé et réparti sur la plaque et demande peut être d’abord une maîtrise du langage écrit et de la construction des caractères alphabétiques.
On peut donc la qualifier d’objet technique mettant en jeu des connaissances (un processus de réflexion avancé).

Pour second exemple, nous pouvons nous pencher sur le cas de « Cent mille milliards de poèmes » de Raymond Queneau, mis en page par Robert Massin, publié pour la première fois en 1961. Celui-ci s’inscrit dans un processus de recherches du groupe de travail nommé OuLiPo⁴. Ici, le concept de « Cent mille milliards de poèmes » pousse Raymond Queneau à jongler selon trois formes de contraintes : textuelles, sémantiques et esthétiques.
Cet ouvrage est composé de dix pages dont chaque page est divisée en 14 bandelettes horizontales, elles-mêmes ne comportant qu’un seul vers. Ainsi, Queneau nous propose de composer des poèmes à partir de la combinaison de vers sélectionnés. Il qualifie d’ailleurs ce livre de « […] machine à fabriquer des poèmes, mais en nombre limité ; il est vrai que ce nombre, quoique limité, fournit de la lecture pour près de deux cents millions d’années (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre) ».
Et c’est Massin qui dans la conception de l’ouvrage matérialise l’idée de la combinatoire, en mettant au point un système de séparation des vers par bandelettes, formsforms une solution technique qui pousse à la manipulation, à assembler, re-assembler et composer presque à l’infini. Ce qui en fait un texte mobile aux potentialités multiples pour lequel, le lecteur interagit avec les pages, les reconstitue, les reconstruit, les recompose. La matérialité de l’ouvrage est un défi technique, complexe autant dans sa conception que dans sa fabrication et demande une qualité d’application technique dans sa fabrication (seule une marge de quelques millimètres non découpée maintient les bandelettes à gauche). formsforms Il bouscule ainsi l’ordre établi par l’objet littéraire, précurseur de l’hypertextualité et de la création papier puisque proposant un nombre non fixe de pages et de récit, brisant la linéarité de lecture du roman et libérant la littérature des contraintes imposées par le support papier.

Conscient de cette dimension inhabituelle, Queneau signe une préface « Mode d’emploi » pour en expliquer le principe et fournir des instructions manipulatoires afin d’aborder ce livre-objet.

⁴OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle) fondé en 1960 par Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lyonnais. Ce groupe développe de nouvelles potentialités du langage et une forme de recherche en littérature expérimentale, avec la volonté d’allier logique mathématique et création littéraire. Et travaillant à partir de contraintes qu’ils s’imposent eux même.